Là-bas...

Je n'ai pas eu la chance de grandir dans la culture de New York, la fièvre de Brasila, les lumières de Paris, les paillettes d'Hollywood, l'éclat de Sydney, le surréalisme de Tokyo ou la chaleur de Johannesbourg

Je n'ai pas admiré la mer manger le sable chaque matin, ni l'immensité des monts aux neiges éternelles, pas foulé de mes jeunes pieds nus le sable du Sahara, pas courbé mon frèle dos dans les risières, ou gambabé dans l'immensité des champs vierges, pas plongé nue dans un lac indien.

Non... rien de tout ça... 

Je suis née à Nancy... au coeur de la Lorraine, ancienne région industrielle de France. 

Nancy, Hotel de ville

Là-bas au 19ème siècle, l'Art Nouveau prennait ses droits et Daum décorait les demeures artistocratiques. Le travail du verre faisait le renommé de la région. Des peintres tels que Victor Prouvé ou Louis Majorelle étalaient leurs toiles aux murs des riches propriétaires. 

Là-bas au 18ème siècle, un certain Stanislas Leszczynski plaçait sa fille sur le trône de France. Le beau-père de Louis XV éleva sa ville au rang d'oeuvre classée au patrimoine de l'Unesco, amménageant un petit Versaille au coeur de son fief. Sa servante, Madeleine, mis au jour un gâteau dont Proust venta longtemps les délices.

Là-bas au 17ème siècle, un jeune artiste du nom de Georges de la Tour immortalisa de son pinceau la magie des bougies. 

Là-bas au 16ème siècle, une femme prépara une tarte des restes qu'elle possédait, sa quiche connait encore aujourd'hui un certain succès.

Là-bas au 15ème, une jeune femme entendit l'appel de dieu alors qu'elle promenait ses moutons. Conquérante, elle bouta les Anglais hors de France. Jeanne mourut à 19 ans dans un feu qui ne lui enleva ni ses rêves, ni ses espoirs, ni sa folie.

Là-bas au 14ème siècle, mourut Charles de Bourgogne (dit le téméraire) vaincut par le Bon Duc René II de Lorraine. 

Nouvelle Collection DAUM

  

Les Volupteux, Victor Prouvé, 1899 (Nancy; Musée des Beaux Arts)

 

Nouveau Né, Georges de la Tour, 1645-1648, (Rennes; Musée des Beaux Arts)

là-bas...

Là-bas, je n'y suis plus... La Bourgogne m'a vaincu. Et j'attends... j'attends le jour qui me verra revenir. Le jour de l'appel divin de la mutation. 

Là-bas, j'ai écorché mes genoux sur les routes de la Coulée Verte, dévalant à toute vitesse sur mon bi-cross noir. 

Là-bas, j'ai rêvé mon prince dans le chateau fort de la Forêt de Haie.

Là-bas, j'ai poussé les limites de mon vertige sur le siège usé d'un manège de la Foire.

Là-bas, j'ai arboré fièrement la médaille de ma défaite à la Corrida. 

Là-bas, j'ai rangé les courses "Du Cora dans mon cornet"...

Là-bas, "j'ai clanché" les portes de mes amis, de mes écoles, de mes espoirs aussi.

Là-bas, j'ai découvert sur les bancs du lycée que Georges de La Tour n'était justement pas qu'un lycée mal famé...

Là-bas, j'ai bu une infinité de café à 5 francs sur le cuir rouge du Garden. 

Là-bas, j'ai sué sang et eau au rythme du Rock du Métro.

Là-bas, j'ai eu mes premiers rires, mes premiers pleurs, mes premiers amis, mes premiers amours, mes premiers chagrins, mes premiers rêves, mes premiers doutes, mes premiers échecs, mes premières gloires...

Puis j'ai quitté ma ville comme on quitte l'enfance. La libellule est sortie de sa chrysalide pour découvrir le monde, l'autre, l'ailleurs.

Et j'ai trouvé l'Amour ailleurs... mais finalement il venait de là-bas.

Car Là-bas c'est chez moi.

  

Bosquet de la Pépinière de Nancy